Les débuts (années 50-60)

Autoportrait – 1957

« Toute création artistique se développe selon un processus analogue à celui d’un être vivant, dans le sens d’un plein épanouissement marqué de phases successives qui s’engendrent l’une l’autre. Comme tout artiste, Gilbert Lisken manie crayon et pinceau dès sa prime jeunesse […] » (Gabrielle Kueny, préface à l’exposition Couleurs et musiques complémentaires d’aujourd’hui, Epinay-sur-Seine, 1981 – G. Kueny fut conservatrice du musée des Beaux-Arts de Grenoble où elle succède à Jean Leymarie de 1955 à 1968. Il commence par peindre des gouaches sous l’influence du Jean Fautrier des années 1920 et de Gen Paul qu’il visite dans son atelier de l’avenue Junot. Il prend le parti du style figuratif ; enfant malmené par la Seconde Guerre mondiale (il perd sa mère à l’âge de 10 ans en 1940 et s’éloigne de son père), il voue une admiration sans borne à l’Amérique des GI, des Lucky strike, des clubs de jazz et croise la figuration renouvelée et colorée de Milton Clark Avery. Au moment où l’abstraction domine la création artistique, il mène des recherches novatrices et à contre-courant, travaillant les objets, les portraits et les paysages. Ses tons au départ sont bleu profond, rouges, bruns puis peu à peu les camaïeux gris-bleutés rehaussés de jaune dominent, ajoutant une note poétique. Quelques paysages marins s’inspirent des ciels que Nicolas de Staël peint dans ces tonalités au début des années 1950. Les formats sont de taille moyenne (50×60 cm). En juillet 1959 dans L’Echo d’Oran, Jean Rousselot décrit les toiles de Lisken exposées à la galerie du Luxembourg comme étant « d’une solide facture et délibérément en marge du courant non-figuratif. On pense à Loutreuil, à Launois, et pour le choix des thèmes, à Rouault […] ».

À partir de la fin des années 1960, la matière devient plus fluide, plus transparente, il peint des nus à l’huile ou au pastel sur des formats plus importants (100×130). Ces « nus invisibles » ont l’« indécence érotique cachée des estampes japonaises. Tout ce qui est manifeste inconvenance y est masquée dans des camaïeux de bleus, croisant parfois des ocres et des rouges […] plus proche des rêveuses romanesques de Delvaux que des garces de Jordaens […] » (Jean Cathelin, 1982). Pourquoi « invisibles » ? C’est une expression volontairement paradoxale et surréaliste car « les corps illuminent et éclairent l’ombre » (entretien avec Maggy Hubert-Wallace, 2020), c’est par eux que la lumière entre dans le tableau, et si les formes semblent floues en réalité en les observant mieux on voit très bien apparaître les corps de ces hommes et de ces femmes.

Lisken se rapproche de certains portraits d’Eugène Carrière qui peignait des femmes très souvent à peine esquissées, sortant d’une ombre vaguement éclairée dominée par des bruns flous. L’atmosphère rendue en est sombre et oppressante. L’individualité des personnages en est effacée.

Portrait d’Attilio Oberto par l’artiste (1959) 

De cette première période, il ne reste que peu d’œuvres. Gilbert Lisken travaille avec la galerie Roussard puis avec Attilio Oberto (portrait à gauche), qui diffuse et fait connaître sa peinture, objet de plusieurs expositions à Paris et à l’étranger. Après une maladie grave, Attilio interrompt leur contrat verbal en 1974 ; le peintre travaillera pour un cercle de collectionneurs hors du marché de l’art, à la poursuite de nouvelles formes picturales.


Quelques éclairages sur les personnalités citées, en lien avec Lisken :

Eugène Carrière (1849-1906) : élève de Cabanel à l’école des Beaux-arts de Paris, il expose régulièrement au Salon des scènes de l’intimité familiale qui le font surnommer le « peintre des maternités ». Il réalise également des portraits des personnalités intellectuelles de son époque, Verlaine, Gauguin, Rodin etc. Il se lie d’amitié avec le sculpteur dont il partage les conceptions esthétiques. Il participe à de nombreuses expositions et crée sa propre académie de peinture où il forme des artistes comme Matisse, Derain, les « Fauves ».
Pour en savoir plus.

Jean Fautrier ((1898-1964) : sa carrière de peintre commence officiellement en 1921 avec sa première exposition de peinture. Il créée des toiles figuratives aux sujets variés (portraits, natures mortes, nus, paysages) dans lesquelles les couleurs sombres dominent. Son activité se diversifie dans la décennie suivante, il grave et sculpte et, ne pouvant vivre de son art, devient moniteur de ski. Il ouvre également une boîte de jazz qu’il ferme en 1939. L’occupation allemande marque son travail dans la série des Otages. Son style évolue vers des compositions abstraites où se superposent et s’entrecroisent des lignes colorées, des stries sur une matière picturale épaisse. En 1960, il est invité d’honneur à la 33e Biennale de Venise et reçoit le grand prix de peinture.
L’année suivante à la 7e Biennale de Tokyo il reçoit également le grand prix. Il fait deux donations importantes au musée d’Ile-de-France (Sceaux) et au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1963.

Baron Nikolaï Vladimirovitch Staël von Holstein dit Nicolas de Staël (1913-1955) : en 15 ans de peintures, l’artiste a réalisé plus d’un millier d’œuvres influencées par l’âge d’or de la peinture néerlandaise et par les Français, Cézanne, Matisse, Braque dont il devient l’ami, les Fauves etc. Il se tourne progressivement vers l’abstraction au début des années 1940, soutenu par la galerie Jeanne Bucher. Naturalisé français en 1948, il varie les supports de ses créations, refuse de rejoindre le camp de l’abstraction, expose de plus en plus en France et à l’étranger, vit dans un tourbillon permanent et crée comme un furieux. Il met brutalement fin à ses jours à Antibes en 1955.

Milton Clark Avery (1885-1965) : peintre américain de la côte Est, Milton Avery s’inspire des Fauves au début de sa carrière puis simplifie et allège la touche qui devient de plus en plus fluide. Ses sujets intimistes aux plans colorés à deux dimensions le rapprochent d’Henri Matisse. Dans l’entre-deux-guerres il noue de grandes affinités avec Rothko et Adolph Gottlieb qui le font évoluer après 1945 vers l’expressionnisme abstrait sans qu’il abandonne jamais totalement la figuration. Deux expositions rétrospectives se tiennent de son vivant, en 1952 au Baltimore Museum of Art et en 1960 au Whitney Museum of American Art de New-York. En 1963, il est élu membre de l’American academy of Arts and sciences.

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