Les années 70

Le début des années 1970 est marqué par une évolution vers une peinture moins immédiatement accessible que les nus ou le style figuratif. Il abandonne le sujet humain traité jusque là. Aux nus emmêlés succèdent d’inextricables enchevêtrements mécaniques dont sourd une certaine « angoisse intérieure » (catalogue du XVIIIe salon de toile de la galerie Roussard, 1978).

Très frappé par la construction du Centre Pompidou par Renzo Piano et Richard Rogers au cœur du Marais, ce sont d’abord des séries de tuyaux, enroulements de tubes, tubulures souples et poutres maîtresses qui occupent toute la toile et semblent même poursuivre leur cacophonie au-delà. C’est le terme qu’il emploie lui-même pour une toile de 1975. Il vit au rythme du jazz et de la musique électronique qu’il considère comme un bon « accompagnement » de sa peinture. Il expose d’ailleurs en 1981 à Epinay-sur-Seine avec le musicien Jean-Claude Eloy, chez lequel il a découvert des correspondances de vibrations étonnantes. Eloy constate lors d’une visite à son atelier que les formes semblent entrer en mouvement à l’écoute de sa musique. A ce moment, les toiles sont plus souvent de format vertical (115×80).

Gilbert Lisken travaille depuis toujours dans une ambiance musicale. Il a souvent constaté que, soit dans la musique classique, soit dans la musique contemporaine, quelques mesures étaient en accord avec sa transcription picturale des ondes diverses qui nous environnent (Gabrielle Kueny, 1981). Lisken juge de sa propre expérience en ces termes « si un rapport peut être établi entre l’acte pictural et l’écriture musicale, il se limite pour moi à l’esprit déterminant les vibrations l’un de l’autre. Cela nous entraîne dans un grand balancement ignorant les frontières et rejoignant le mystère cosmique. Les puissants enroulements des flots du Rhin dérobant l’or à la vue des hommes fusionnent-ils avec le métal convoluté dans l’espace de mes compositions ? Avec l’œuvre magistrale de Jean-Claude Eloy Gaku-No-Michi on retrouve un élément aussi terrible que le flot wagnérien : la foule de l’ère industrielle, la rumeur d’une métropole japonaise ; quelque chose d’un peu entomologique. Donc, ces sonorités accompagnent ma vie de préférence à beaucoup d’autres… mais sans oublier les musiques de la nature… » (lettre de novembre 1980 à G. Kueny).

Gabrielle Kueny, conservateur honoraire du musée des beaux-arts de Grenoble (elle succède à Jean Leymarie en 1955), écrit en 1981 :
« depuis 1974, [Lisken] entreprend une véritable exploration. […] Pour lui l’acte de peindre est d’abord cette exploration correspondant à une immense curiosité des rythmes de la vie sous toutes ses formes. Il se compare lui-même à un chasseur à la recherche d’une bête rare. Peindre lui donne la même émotion. Il se livre d’ailleurs à une chasse analogue puisqu’il est aussi naturaliste amateur et que l’entomologie lui fournit des rythmes qui s’intègrent dans sa peinture. Il ne se sent pleinement satisfait que lorsque, avec formes et couleurs, il appréhende toutes choses vivant autour de lui dans une synthèse picturale.
Sa curiosité du rythme de la vie l’entraîne au-delà de la représentation des choses. Dans chaque toile il trouve une solution aux problèmes de structures et de fonctions des formes […]. Le plan de la toile se recouvre d’enroulements, de vrilles, de spirales issues aussi bien du monde végétal et animal que du monde industriel et mécanique, le tout fondu en un camaïeu de bleu. Cet enchevêtrement est sous-tendu par quelques « poulies » et axes qui drainent l’énergie de tout ce bouillonnement intérieur rendu sensible par un volume accentué et ponctué de quelques tonalités rougeâtres.
Tout paraît déshumanisé. Ce paroxysme dynamique issu de la réflexion à la fois exaltée et contrôlée de l’auteur est l’écho de notre société industrielle et de sa rumeur de masse. […] L’apparition brutale d’un rouge flamboyant en bandes sous-jacentes propulse leur action aimantée que vient renforcer et ordonner cette énergie bouillonnante ».


Quelques éclairages sur les personnalités citées, en lien avec Lisken :

Le Centre Pompidou par Renzo Piano et Richard Rogers  : inauguré en 1977, 3 ans après la mort du Président Georges Pompidou qui l’a programmé en 1969. En 1971, il fait l’objet d’un concours international auquel 681 équipes participent. Présidé par Jean Prouvé, le jury élit à l’unanimité le projet de deux architectes inconnus, l’Italien Renzo Piano et Richard Rogers d’origine italo-anglaise. Le chantier commence en mai 1972 et s’achève 5 ans plus tard. C’est une construction ouverte sur la ville et modulaire. La structure porteuse et les circulations techniques sont rejetées en façade pour offrir de grands plateaux libres. L’usage des couleurs primaires et du vert pour désigner les flux caractérise le bâtiment et souligne son originalité.

Jean-Claude Eloy (né en 1938) : élève du CNSM puis de plusieurs master class, le musicien compositeur reçoit notamment les enseignement de Darius Milhaud, Olivier Messiaen, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen. Il obtient plusieurs prix de piano, musique de chambre, ondes Martenot, contrepoint… Ses œuvres électroacoustiques sont jouées sur tous les continents et dans de nombreux festivals internationaux. En 1977 il part au Japon et crée au studio électronique de la radio nippone à Tokyo son grand œuvre, Gaku-no-Michi = «Les voies de la musique» ou «La voie des sons», film sans images pour sons électroniques et concrets, 3h50, numérisé et révisé en 2006. En 2010 le musicien publie un ouvrage entièrement consacré à cette œuvre musicale qui est une commande du ministère de la Culture et de la fondation Gulbenkian.
A partir de 1978 il travaille au centre d’Etudes et de Mathématiques et automatiques musicales fondé par Iannis Xenakis.
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